I

“Horrible, horrible, most horrible !” Shakespeare

L'haleine des grands bois s'exhale avec l’haleine 
De l'invisible ciel et fait pâmer la plaine
Comme un être vivant, étendu, sanglotant.
Dans le vague de l'air un mumure flottant

Va d'un branchage à l'autre: on dirait un cantique, Mourant sous les arceaux d'une chapelle antique
Tandis que des vapeurs d'inépuisable encens
S'epandent vers la voûte en flacons caressants.
La route des forêts s'égare dans la brume.

On croirait qu'une torche humide, immense, fume Dans les confins du ciel, enveloppant le feu Des astres. C'est minuit. Un épais manteau bleu
Couvre de son velours le vallon, la rivière Qui respire en dormant auprès d'une lisière


Dont les fourrés confus sont comme un ramassis De fantômes tremblants debout, couchés, assis.
Sous les arbres voiles du mystère de l'ombre,
Dans un petit sentier chevauche un groupe sombre.
Ce sont dix cavaliers baignés de la lueur


D'une torche que porte un homme en éclaireur.
Comme un astre captif qui vacille tremblote, Un œil cyclopéen qui dans l'ombre clignote, La braise rougeoyante en avant les conduit, Et le groupe muet des cavaliers la suit.


En la brumeuse nuit et dans la main du guide
La flame a des effets changeants, l'éclat fluide, Tantôt semble un serpent de lumière et d'azur, Tantôt dans le silence, au fond d'un crypte obscur, Une vive splendeur, comme celle d'un ange,

Un nimbe palpitant qui flue et se mélange Avec la brume et fuit; tantôt un feu follet Aux bonds capricieux; tantôt un chapelet, Eblouissant aux grains d'or qui se pulvérisent;
Ou des nappes d'argent qui roulent et s'irisent,

Déchirures d'un ciel sous l'éclair et le vent.

Etzer Vilaire

Source: Les Dix Hommes Noirs